
| Extrait
Roman,
film ou souvenirs personnels, nous avons tous en mémoire l’histoire
d’une belle inconnue aperçue dans la nuit et dont le parfum enivrant
permet au héros de retrouver la trace ou celle du gentleman-aventurier
dont les traits burinés et le smoking impeccable ne laissent pas
l’héroïne indifférente. Même si l’histoire est attrayante, ce qui nous
fascine réellement, c’est la séduction elle-même, les délicats rouages
de l’attraction entre deux êtres, et nous souhaiterions tous en
découvrir les mécanismes, s’ils existent. Mais comme les profondeurs du
cœur humain sont insondables, pourquoi ne pas d’abord interroger des
modèles plus accessibles, ceux que nous pouvons observer dans la nature
? Malgré toutes leurs différences, les délicates danses aériennes des
papillons comme les trilles mélodieuses du rossignol évoquent
aussitôt pour nous le charme des amours printanières et les vertiges de
la passion.
Pourquoi séduire ? Pour engendrer des descendants bien sûr, pour la
sécurité de la vie en couple parfois, pour un logement agréable, pour
le plaisir… Cependant, même si les comportements de séduction des
animaux et leurs stratégies amoureuses éveillent en nous l’envie d’y
reconnaître nos propres mouvements, il faut éviter de prendre l’espèce
humaine comme base de comparaison. Chez les animaux, l’espèce exerce un
poids extrême, par l’intermédiaire des comportements innés, bien que
les goûts et sentiments des individus puissent jouer un rôle important.
Dans notre propre espèce, la volonté individuelle prime souvent sur les
besoins de la collectivité.
…
Nous ne sommes pas plus strictement déterminés par la nature que par la
culture : nous sommes influencés par les deux, sans qu’il soit
raisonnable d’attribuer tel ou tel comportement à l’une ou à l’autre.
Comment diable s’y retrouver ? Les sciences humaines, en particulier la
psychologie, s’efforcent vaille que vaille de dégager de grandes
tendances. Elles ont en tout cas le mérite de produire des hypothèses,
parfois difficilement vérifiables, mais toujours stimulantes.
Quoi qu’il en soit, la nature, plutôt qu’un ennemi à fuir ou un fantôme
à liquider, peut s’avérer, comme le notait Montaigne, « un doux guide »
à suivre et dont s’inspirer, en bonne harmonie avec nos contemporains
et notre culture commune. Nous verrons ainsi au fil de cet ouvrage si
l’observation des comportements animaux, d’une profusion étonnante,
peut s’avérer utile pour mieux comprendre nos propres critères de
séduction. Nous distinguons-nous si radicalement que cela des autres
êtres vivants ? Ou ne faisons-nous qu’obéir à des variations sur le
même thème ? Certaines espèces peuvent-elles nous inspirer, parfois
aussi en montrant le contre-exemple ? Risquons-nous dans ce labyrinthe
d’une richesse incroyable de comportements plus divers, inattendus,
voire déroutants, les uns que les autres.
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