
|
Sapiens, petit nom d’Homo sapiens,
est apparu il y a près de 300 000 ans en Afrique. Les premiers
sapiens sont les ancêtres de l’espèce humaine actuelle. Eux-mêmes
descendent d’hominidés bipèdes qui occupaient le continent africain
depuis des millions d’années. Au cours de leur évolution, certains de
ces hominidés ont parfois été isolés les uns des autres, suffisamment
longtemps pour donner naissance à des espèces distinctes. Plusieurs
fois dans le passé, la Terre a porté plus d’une espèce humaine !
Cet aspect de notre histoire a été reconstitué au cours des dernières
décennies grâce au travail des paléoanthropologues, qui dessinent
aujourd’hui un arbre généalogique (phylogénétique, diraient-ils) bien
plus touffu qu’on ne l’imaginait autrefois. Comment notre propre lignée
a-t-elle émergé de cette famille foisonnante ? Notre évolution a-t-elle
été graduelle ou a-t-elle connu des transitions majeures ? Quand
et comment, au cours de notre évolution, sommes-nous devenus humains ?
Certaines de ces questions ont obtenu des réponses, au moins
partielles, et celles-ci ont soulevé de nouvelles interrogations.
Les découvertes se sont multipliées, de la Sima de los Huesos
(Espagne), à Sterkfontein (Afrique du Sud), de Dmanisi (Géorgie) à
Florès (Indonésie). Des techniques de fouille de plus en plus fines
permettent d’imaginer l’environnement dans lequel vivaient nos
ancêtres. Il est possible de scruter l’intérieur des roches et de
déceler les plus infimes détails des crânes fossiles. L’analyse
chimique des os révèle le régime alimentaire de leurs anciens
possesseurs. Mais la véritable nouveauté date de moins de dix ans, avec
les premières analyses de l’ADN des hommes préhistoriques. La
paléogénétique a déjà à son actif des résultats étonnants, comme
l’irruption d’une espèce dont personne n’avait même soupçonné
l’existence ou la preuve que des espèces humaines distinctes se sont
autrefois hybridées. Nous portons encore en nous la trace de cette
histoire.
L’origine de l’être humain est un thème sensible, socialement et
politiquement. Beaucoup de gens préfèrent encore s’en tenir aux mythes
religieux plutôt que de se confronter à la dureté des pierres et des
os, à la réalité de nos racines animales et du lent apprentissage de
notre humanité. L’histoire de la paléoanthropologie est aussi une
histoire de nos sociétés. Dans certains pays, les chercheurs sont
poussés à trouver de quoi nourrir la fierté nationale, avec un homme
plus ancien ou plus habile que les autres et susceptible d’incarner des
racines nationales plutôt qu’humaines.
Bien sûr, cette histoire, telle que nous la racontons aujourd’hui, est
susceptible de changer. De nouvelles découvertes enrichiront ce récit
et d’autres obligeront à en réécrire des chapitres entiers. La
paléoanthropologie nous aide à comprendre qui nous sommes et à penser
l’ensemble de notre espèce dans toute sa diversité. L’étude de notre
propre évolution nous fascine, non seulement par ce qu’elle dévoile de
nos origines, mais aussi par ce qu’elle révèle de notre nature.
|